Constructions théoriques, débats et circulations des idées
L’axe 1 est dédié à l’étude des théories politiques et religieuses élaborées sur une longue durée qui débute au cœur Moyen Âge central, au XIIe siècle, et se prolonge jusqu’au début du XXe siècle. Les recherches conduites en son sein se déclinent à travers plusieurs thématiques structurantes qui correspondent à quelques orientations caractéristiques des recherches qui identifient fortement les membres du Centre Lucien Febvre. La démarche adoptée, dans l’ensemble des projets développés, consiste à replacer la gestation et l’épanouissement de ces théories dans leur contexte historique précis afin de mieux évaluer leurs objectifs et leur portée, plutôt que de les considérer pour elles-mêmes sans tenir compte des circonstances qui ont présidé à leur apparition. Cet intérêt constant pour une contextualisation très pointue permet une analyse plus pertinente et une compréhension plus fine des origines et de l’impact de ces théories.
Trois orientations scientifiques structurantes peuvent être dégagées :
1 - Penser le politique en temps de crise (Moyen Âge – XXe siècle, Europe, Amérique du nord
En choisissant d’étudier plus particulièrement des périodes de crises (Grand Schisme d’Occident, la Réforme protestante, les guerres de religion, la guerre de Sept ans, la révolution française et la révolution américaine), cette thématique cherche à comprendre comment la pensée et l’action politiques ont pu être mobilisées pour résoudre des conflits ou dans quelle mesure elles ont pu être exploitées par les protagonistes de ces affrontements afin de défendre leur cause ou de faire valoir leurs convictions.
Ainsi, la crise politique de l’Église à la fin du Moyen Âge, ouverte par le Grand Schisme d’Occident et poursuivie par la contestation conciliaire, permet d’expérimenter des pratiques gouvernementales inédites, fondées sur la prise de décision en une large assemblée, et de réfléchir à nouveaux frais sur le politique, au prisme des concepts de la philosophie politique aristotélicienne. Les recherches conduites au sein de cet axe concernent ainsi plus particulièrement la manière dont les concepts et les textes juridiques ont irrigué la réflexion sur la manière de bien gouverner l’Église et contribué à faire émerger le politique de plus en plus autonome. Les positions se sont polarisées autour de deux modèles politiques, l’un monarchique porté par la papauté et la Curie, l’autre parlementaire proposé par les assemblées conciliaires. Le XVe siècle est ainsi un moment de forte politisation des choix et débats internes à l’Église, qui a contribué à forger un vocabulaire polémique mobilisé dans la longue durée.
Un projet pluridisciplinaire, qui examine les décisions collectives (élection et vote) au prisme des critiques qui leurs sont adressées, est également conduit au sein de cet axe. Menées pat des politistes et historiens, juristes et sociologues, les études de cas envisagées, qui embrassent un vaste espace-temps, permettent de casser la linéarité rétrospective du récit dominant d’une marche inéluctable vers le suffrage universel et de s’interroger sur la manière dont discours et actes critiques forment ou non un répertoire d’actions, connu et infléchi par les acteurs.
2 - Polémiques religieuses et politisation (XVe- XVIIe siècles)
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En s’intéressant notamment à la question de la construction de l’identité politique des protestants français dans la seconde moitié du XVIe siècle, il s’agit de démontrer qu’il est possible d’être fidèle à un prince dont on ne partage pourtant pas la confession. La connaissance de l’action du parti huguenot face aux agressions de la majorité catholique du royaume de France est ainsi au cœur de cet axe. Le respect de la légitimité royale, qui réside essentiellement dans l’application rigoureuse de la loi salique, doit primer sur le facteur religieux. L’analyse des institutions politiques crées par les huguenots permet d’analyser le fonctionnement d’assemblées représentatives et d’étudier la composition du personnel politique réformé, en particulier les députés élus qui les composent. Parmi les figures emblématiques du parti huguenot au cours des premières guerres de religion, Louis de Condé, prince du sang, illustre cette dualité entre engagement confessionnel et service du roi. Cet engagement confessionnel s’exprime aussi dans des strates plus modestes de la société dont les membres, pour échapper à la répression ou pour défendre la cause huguenote, sont conduits à pratique la clandestinité.
Cette forte dimension politique des guerres de religion s’exprime non seulement à travers la production de nombreux pamphlets qui diffusent une pensée politique originale forgée afin de construire l’identité politique des réformés français, mais aussi à travers la lutte conduite par la monarchie pour conserver le contrôle d’un royaume profondément divisé. De manière paradoxale, les guerres de religion sont le cadre d’un accroissement de la puissance monarchique.
Voir également : Colloque « Réseaux et pratiques de la clandestinité au temps des guerres de religion », 12 juin 2019, Institut d’études avancées de Paris.
3 – Réseaux, conceptualisation et circulation des idées et des savoirs en Europe de l’humanisme à la Belle Epoque (XIVe- XIXe siècles)
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En envisageant la circulation des idées et des savoirs dans l’Europe de l’humanisme à la Belle Epoque, cette thématique interroge le fonctionnement des réseaux savants aussi bien dans leur dimension érudite que dans la nature très concrète des échanges matériels qui transitent par leur canal. Il s’agit ainsi d’étudier les correspondances savantes, celles des humanistes de la Renaissance (Erasme, Budé, Vivès, Nicolas Clénard), mais aussi les éditions de textes des imprimeurs humanistes envisagées en un long XVIe siècle afin d’en dégager le contenu philologique, théologique, politique et historique. Les préfaces des ouvrages d’Adrien Turnèbe, imprimeur grec pour le roi de France, sont ainsi analysées en détail parce qu’elles témoignent de l’irénisme de l’auteur en un temps de bouleversements religieux majeurs. Sur un autre plan et dans une période charnière entre époques moderne et contemporaine, le réseau agronomique européen fait également l’objet d’une attention particulière avec, par exemple, l’analyse des pratiques épistolaires de Mathieu de Dombalse et du comte Conrad de Gourcy.
La dimension concrète de ces échanges n’est pas ignorée et cet axe cherche à évaluer notamment la qualité et la quantité des objets transmis par le canal de ces relations épistolaires. Ces savants ne cessent de s’adresser de multiples présents au fil de leurs épîtres, depuis le simple manuscrit jusqu’au livre ou à l’album amicorum, en passant par des médailles, des tissus et même des objets beaucoup plus encombrants et bien plus précieux, tels que des portraits, des objets exotiques, des instruments de mesure du temps (sablier, clepsydre) ou encore des horloges. Cette circulation d’objets variés concerne aussi bien les échanges épistolaires de grandes figures du temps, tel Antoine Perrenot de Granvelle, que les correspondances entretenues par des scientifiques (envoi de collection d’insectes ou de fossiles, d’instruments de mesure ou de collections anatomiques), dans les correspondances diplomatiques (échange de pamphlets, compte-rendu de discours) ou agronomiques (échange de traités, de graines variées).
Voir également :